top of page

Les pertes

MAUFRAIS Louis

Louis Maufrais, médecin, revient à l’arrière des lignes (au repos) après 21 jours de tranchées. Il écrit une lettre à ses parents, le 25 mars :
« je n'ai jamais entendu autant d'obus autour de moi. J'ai certainement frôlé plusieurs fois la mort de très près, mais je n'y pensais pas trop. Je m'en rendais bien compte, mais généralement, quand on s'en rend compte, c'est que le danger est passé. Il faut vous dire aussi que pendant ces vingt et un jours, notre régiment a perdu à peu près huit cents hommes (tués et grands blessés). Cela fait à peu près l'effectif d'un bataillon. Et, malgré tout, nous n'avons pas subi l'attaque allemande. Il n’y a pas eu de combat d'infanterie. Ça s'est passé uniquement par bombardement. »
Dans son carnet, il ajoute : , je suis hanté par les images de ces vingt et un jours d'enfer, j'ai sans cesse devant les yeux ce décor de trous et de boue,

Il arrive dans un petit poste très exposé aux tirs et très peu aménagé : « Il est dix-huit heures, et l'orage commence. Les Boches sont méthodiques et ponctuels. Au début, la cadence est rapide, à peu près quatre coups à la minute. Mais, dès dix-neuf heures, ça a plus que doublé. Il faut compter une explosion toutes les cinq à dix secondes. […]
On commence à voir arriver, courant ou rampant, des quantités de blessés légers qui geignent et qui crient. On ne sait pas où les mettre. Ils sont furieux de ne pas être abrités. Je leur conseille de descendre s’ils peuvent marcher. Quant aux autres, ils restent avec nous. Peu après arrivent les blessés graves.
En moins d'une demi-heure, nous en avons une dizaine autour de nous. J'ai un pauvre gars avec une fracture du crâne et perte de substance : dans le coma. Un autre a un bras arraché, resté dans sa capote. Il est moribond. Le troisième est lui aussi mourant. On ne le fait même pas entrer dans l'abri. Dix minutes plus tard, il a passé. On ne sait plus où les mettre, ces malheureux. Nos trois abris sont rapidement remplis, et la pente est très raide. Il faut caler les corps avec des pierres pour qu'ils ne roulent pas. C'est abominable. Et tout cela au milieu de la poussière et de la fumée. On ne s'entend pas. Nous courons de l'un à l'autre, courbés en deux, presque au ras du sol. […]
Le lendemain est plus calme. Les blessés qui arrivent face à nous nous disent que, dans la 1ère compagnie, l'effectif a fondu de moitié. Le pilonnage a causé l'éboulement des tranchées sur une bonne longueur, et une douzaine d'hommes sont enfouis sous deux mètres de terre. […] C'est la même proportion à peu près partout.

 

 

bottom of page