Souffrances des combattants
MORNET Daniel (fantassin)
« Les boyaux, quand il y en a, sont plus sûrs, mais il est malaisé d'y cheminer, lorsque les jambes s'enfoncent dans la boue jusqu'au genou et que les bras portent deux bouthéons, les épaules dix bidons et dix boules de pain. Au mieux, pendant des kilomètres, le pain essuie la boue des parois ; maints bouthéons perdent leurs couvercles ; le rôti est assaisonné de terre, que l'on essuie ; on n'essuie pas les salades de fayots ou patates, et la terre y est désagréable. La viande, à la seconde même où on la découvre, est assaillie par les nuées de mouches à cadavres. Ce n'est pas qu'on se mette en peine pour les cadavres et pour leurs mouches. Mais elles sont trop, et trop tenaces. […]
La soif est malheureusement plus impérieuse que la faim. Les deux litres qu'emportent nos bidons sont vite épuisés. Le ravitaillement nous monte régulièrement un quart de café, un demi-litre de « pinard ». Ce qui suffit, à peu près, pour ceux dont le gosier ne s'assèche pas facilement et quand il ne fait pas trop chaud. Mais on peine durement presque toujours, et presque toujours « il fait soif ». Le problème de la soif est souvent cruel. […] Les trous d'obus sont souvent des mares, et l'on y boit. Mais les plus rassurants d'aspect servent presque toujours de tombes à des cadavres […].
[…] Il y en a beaucoup parmi nous qui ne se doutaient pas, avant la guerre, que vivre, c'est d'abord boire, manger, dormir. Ces joies animales nous étaient si aisées ou si familières que nous les ignorions, comme l'air que nous respirons. »